
Le nom de Roland Garros évoque d’abord un tournoi de tennis et un stade mythiques. Pourtant, derrière ces symboles se cache une autre histoire : celle d’un aviateur héroïque, d’un entrepreneur précoce et d’un esprit d’innovation hors du commun. Diplômé de HEC en 1908, il a marqué son époque par son audace et sa créativité.
S’il n’a jamais brillé au tennis, Garros excellait dans d’autres disciplines : cyclisme, rugby, piano ou dessin. Curieux insatiable, il évoluait dans le Paris de la Belle Époque, proche des milieux artistiques et intellectuels. Après HEC, il s’oriente vers l’automobile, un secteur où il conjugue sa passion pour la mécanique et son goût de la vitesse. À 21 ans à peine, il ouvre sa propre enseigne, “Roland Garros Automobile”, au pied de l’Arc de Triomphe. Mais un meeting aérien change tout : il sera aviateur. Et lorsque la guerre éclate, il s’engage avec la même fougue.
C’est une scène racontée par son ami Jean Cocteau qui illustre le mieux son état d’esprit. Un ventilateur tourne devant un portrait de Verlaine. Garros observe et lance : « Tu vois, on distingue encore l’image à travers les pales. » Et Cocteau de répondre : « Un œil passe, un œil ne passe pas. » Pour vérifier, Garros sort son pistolet et tire. La plupart des balles passent entre les pales sans rien briser. Ce qui semblait solide à l’œil nu n’était en réalité qu’illusion : le vide dominait.
De cette intuition naît une innovation. Après trois mois d’essais, Garros fixe une mitrailleuse sur son avion Morane-Saulnier et fait poser sur les pales en bois de l’hélice des déflecteurs en acier pour détourner les balles. En avril 1915, il abat plusieurs avions ennemis et entre dans l’histoire comme le premier véritable pilote de chasse. Le système sera ensuite perfectionné par l’ingénieur néerlandais Anthony Fokker grâce à un mécanisme de synchronisation, appelé interrupter gear, qui calait la cadence de la mitrailleuse sur la rotation de l’hélice, mais l’étincelle initiale, l’idée fondatrice, fut bien celle de Garros.
Qu’elle soit réelle ou romancée, cette scène révèle son regard unique : être capable de voir au-delà des apparences, défier l’impossible en remettant en cause l’évidence, et transformer une idée jugée folle en réalité. Plus d’un siècle plus tard, cet héritage continue d’inspirer celles et ceux qui entreprennent, cherchent, créent et ouvrent de nouvelles voies.